Russie : Qu’est-ce que la Maskirovka ? Nous étions un peu flous sur les détails de cette opération de 1917. Ainsi, nous avons entrepris un petit voyage dans le temps, qui s’est avéré instructif à bien des égards.


Qu’est-ce que la Maskirovka ? Nous étions un peu flous sur les détails de cette opération de 1917. Ainsi, nous avons entrepris un petit voyage dans le temps, qui s’est avéré instructif à bien des égards.

Publié le 25.6.2023


Depuis le lancement de la mutinerie (Maskirovka? coup de pub ? simple pchiiiiit ?) de Prigozhine, des références avec “l’affaire de Kornilov” de 1917 semblaient troublantes.

Lavr Kornilov fut un militaire de carrière, agent du renseignement et explorateur qui connut une ascension progressive dans l’armée tsariste entre 1892 et 1917. Au moment de la révolution de février, il est major-général et apprécié du Gouvernement provisoire.

En mars 1917, on lui confie la charge du district militaire de Petrograd, avant qu’il n’aille remporter une victoire remarquée sur les Autrichiens lors de “l’offensive Kerensky”.

Cette dernière est un échec tel qu’elle provoque de sérieuses protestations anti-gouvernementales

Ce sont les “jours de juillet”, réprimés dans le sang par Kerensky (en photo). Celui-ci devient Premier ministre et s’entoure d’officiers de confiance. Kornilov est nommé Commandant en chef des forces armées du Gouvernement provisoire.

Une obsession chez Kornilov: rétablir la discipline parmi les troupes et stopper la gangrène bolchévique, qui se répand au travers de comités de soldats. Lénine a fui en Finlande, Trotsky est arrêté et le parti communiste est réprimé, mais ce n’est pas assez.

Kornilov veut dissoudre le Soviet (le parlement). Il mobilise alors ses officiers et monte une expédition militaire pour gagner Petrograd et éliminer physiquement les bolchéviques. L’affaire se déroule entre le 10 et le 13 septembre 1917 (27-30 août selon le calendrier grégorien)

C’est là où cela devient intéressant: des échanges de télégrammes entre Kornilov et Kerensky révèlent une position ambigüe du Premier ministre.

L’a-t-il encouragé à monter une expédition militaire pour lutter contre les bolchéviques ? Lui-a-t-il au contraire interdit ? Kerensky a-t-il permis à Kornilov de monter son opération en pensant l’utiliser, avant de se rendre compte du monstre qu’il avait nourri et de se retourner contre Kornilov ?

L’opération était-elle une ruse de Kerensky pour monter une aventure militaire en secret puis s’y opposer publiquement en se présentant comme à la fois le sauveur de Petrograd, mais aussi un bien moindre mal comparé à Kornilov ?

Les échos avec les dernières 24h sont nombreux.

D’autant que l’annonce de la mutinerie et l’avancée des troupes de Kornilov semblent avoir provoqué le même chaos que le “truc” de Prigozhine. Au sein de la population, mais aussi de l’armée. Les rumeurs de participation d’agents britanniques ont ajouté au flou. Kornilov se rend néanmoins vite à l’évidence : il perd des hommes et n’a pas suffisamment de forces pour entrer dans Petrograd, tenu par des forces composites menées par les bolchéviques, plus forts que jamais.

L’opération s’interrompt, le général est déchu et arrêté. Quel qu’ait été le rôle de Kerensky, il ressort très affaibli de l’affaire. On le soupçonne de manipulation. Il s’est montré impuissant à garantir seul la défense de sa capitale (écho très actuel…). Un mois et demi plus tard, il est balayé par la Révolution d’octobre.

Kornilov s’échappe de sa prison et rejoint les blancs pour lutter contre les bolchéviques (une obsession). Son régiment “de choc” acquiert vite une réputation légendaire et s’impose comme un pilier de l’armée de volontaires blancs.

Noter la tête de mort, l’insigne du régiment de choc de Kornilov. Qui n’est guère éloignée de la tête de mort de Wagner.

(Toujours mentionner que comparaison n’est pas raison, a fortiori comparaison historique. Mais le parallèle est bon à noter) Kornilov promettait aussi que “plus grande serait la terreur, plus éclatantes seront nos victoires”. En assurant être prêt à “enflammer la moitié du pays et verser le sang des 3/4 des Russes”, son régiment s’est rendu coupable d’atrocités (il n’était pas le seul à l’époque).

Kornilov tombe au combat en avril 1918 alors qu’il monte le siège de Iekaterinodar. Quand les bolchéviques prennent le contrôle de sa tombe, ils l’exhument, traînent son corps à travers les localités voisines et brûlent le cadavre. (pas un criminel pour rattraper l’autre).

Revenons au 23 juin 2023 : les références à “l’affaire Kornilov” visaient-elles les similitudes entre Kornilov et Prigozhine ? La complicité présumée de Kerensky qui se projetterait aujourd’hui sur celle du Kremlin, voire de Poutine lui-même ?

En tous les cas, hier, on ne parlait pas de Pougatchev contre Catherine II ou du putsch avorté de 1991… L’affaire Kornilov et sa projection dans la guerre civile (1917-1921) se sont imposées comme des évidences, trahissant la fébrilité qui règne en Russie.


La “maskirovka”, cette duperie militaire à la russe dont raffole Poutine

Plusieurs capitales occidentales estiment ce matin, en rapport avec les évènements d’hier en Russie, que la “maskirovka” a parfaitement fonctionné, indiquant même que des agents dormants ont sûrement été piégés comme des bleus et que la conséquence directe serait le ménage à venir au sein du ministère de la Défense Russe.

Moscou a fait de la tromperie militaire sa marque de fabrique. Certes, de telles ruses sont vieilles comme le monde, à l’instar du cheval de Troie évoqué dans L’Odyssée d’Homère. Mais, en Russie, cette approche porte un nom spécifique : la “maskirovka”, que l’on peut traduire littéralement par “camouflage”. Et, elle s’enseigne dans ses académies militaires depuis des décennies.

À l’époque de l’Union soviétique, c’était une véritable doctrine, conceptualisée dans le règlement de campagne de l’Armée rouge de 1939 : « La maskirovka constitue le moyen le plus important d’acquérir la surprise, condition de base pour le succès dans la bataille (…) en assurant les opérations par des mesures complexes visant à tromper l’ennemi sur la présence et la localisation des forces, des installations, les objectifs, la préparation d’une offensive. »

La maskirovka s’exerce à tous les niveaux : stratégique, opératif et tactique. Stratégiquement, le haut commandement (la Stavka) doit s’employer à constamment tromper l’ennemi sur ses véritables intentions. Au niveau opérationnel, les armées doivent rivaliser de prouesses en visant à dissimuler leurs concentrations, à opérer des diversions, à éliminer ou intoxiquer les moyens de reconnaissance de l’ennemi. Il en va de même au niveau tactique dans chaque unité, jusqu’au bataillon. Les chefs d’unités préparant une attaque ne doivent pas pour autant augmenter le nombre des reconnaissances aériennes et n’acheminent les unités d’assaut qu’au tout dernier moment et de nuit…

Le président biélorusse Alexander Lukashenko a réussi à convaincre – sous menaces certaines – le Boss de Wagner Prigozhin de stopper la tentative de coup d’État.

Dans le même temps, les forces spéciales tchétchènes sont arrivées à Rostov plus vite que la milice Wagner ne l’attendait. Ensuite, Erdogan, les Mollahs iraniens et Assad proposaient d’aider contre Moscou cette tentative de coup d’État.

Il serait trompeur de croire que le psychodrame que nous ont servi les Russes, hier,ne soit terminé. Car des questions se posent :

Était-ce qu’une vraie trahison ou une maskirovka ? qui est derrière ça ? comment va désormais se passer la collaboration entre Wagnérites, forces Armées russes et forces Akhmat sur le front ? que va-t-il se passer dans les pays ou wagner est déployé en Afrique ?