Sous la pression des États-Unis, Boris Johnson exclut Huawei du développement de la 5G,cette décision marque un durcissement de Londres par rapport à la voie de l’apaisement choisie en janvier par le Premier ministre.
Correspondant à Londres, Marc Roche le 14/07/2020

Sous la pression des États-Unis engagés dans un bras de fer aux allures de guerre froide avec la Chine, le gouvernement britannique a annoncé le 14 juillet l’exclusion du géant chinois Huawei dans le développement de la nouvelle norme de téléphonie mobile 5G. Mais pour tenir compte des entreprises de télécom nationales ayant besoin de la 5G au plus vite et afin de ne pas envenimer davantage les relations bilatérales avec Pékin, l’opérateur ne sera écarté qu’à partir de 2027, au plus grand dam de nombreux députés de la majorité conservatrice.
Cette décision marque un durcissement de Londres par rapport à la voie de l’apaisement choisie en janvier par le Premier ministre, Boris Johnson, lorsque le Royaume-Uni avait donné son feu vert à Huawei pour participer au lancement du réseau 5G britannique en limitant cette intervention à 35 % du réseau national non stratégique. Le secrétaire au Foreign Office, Dominique Raab, devait se rendre dans le cours de l’année à Pékin pour préparer une visite officielle du chef du gouvernement britannique.
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Une défiance vis-à-vis de la Chine depuis le coronavirus
Mais entre-temps, les rapports bilatéraux se sont fortement détériorés. Le lourd bilan du « Covid 19 » au Royaume-Uni a révulsé le public qui tient Pékin responsable non seulement de la crise sanitaire mais aussi de la grave récession économique à venir. Selon un récent sondage, 83 % du public ne fait pas confiance à la Chine.
Par ailleurs, la législation liberticide destinée à museler l’opposition démocratique de Hongkong a été perçue à Londres comme une violation par la Chine de l’accord de 1984 de rétrocession de la colonie de la couronne en 1997. La décision d’offrir la citoyenneté britannique aux trois millions de Hongkongais détenteurs du statut de sujets d’outre-mer a été jugée par Pékin comme une « grossière ingérence dans les affaires intérieures de la Chine ».
Enfin, Washington, qui soupçonne Huawei d’espionnage industriel et de n’être que le bras armé du Parti communiste chinois, a fait pression sur le Royaume-Uni pour exclure Huawei de la 5G. Lors de sa rencontre lundi à Paris avec son homologue britannique, Mark Sedwill, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, Robert O’Brien, a exigé que Londres fasse preuve de fermeté.
Sous la pression américaine
Dans la foulée, Londres a proposé à ses partenaires de la bourse de renseignement « Five Eyes », qui comprend le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, de faire cause commune pour explorer des solutions industrielles alternatives à Huawei dans le dossier de la « 5G ». La France, l’Italie, l’Allemagne le Japon, la Corée du Sud et l’Inde pourraient compléter le dispositif anti-Huawei.
Les arguments politiques à l’approche d’échéances difficiles – Brexit, récession, enquête officielle sur les dysfonctionnements dans la lutte contre la pandémie – l’ont emporté sur les considérations économiques. Boris Johnson redoutait une rébellion de nombreux élus conservateurs ouvertement hostiles à Pékin. En outre, les possibles infiltrations de la famille royale par des ressortissants chinois liés à Pékin inquiétaient de nombreux parlementaires de droite.
Le locataire du 10 Downing Street a résisté à l’activisme du puissant lobby d’affaires pro-Pékin pour se ranger derrière l’administration Trump. Ce cénacle regroupe notamment les opérateurs de téléphonie britanniques menés par Vodafone et BT arguant qu’un bannissement pourrait conduire à des pannes de réseau et à des demandes de compensation pour les crédits alloués au partenariat avec Huawei.
Un risque de rébellion parlementaire
S’ajoute la City, qui entend devenir le tremplin de l’internationalisation de la monnaie chinoise, le yuan, comme l’atteste l’appui à Pékin des banques d’outre-mer HSBC et Standard Chartered, très actives à Hongkong. Sans parler des industriels du nucléaire inquiets de l’effet de ces bisbilles sur l’accord tripartite entre la France, la Chine et le Royaume-Uni concernant le financement des futures centrales d’Hinkley Point et de Sizewell assuré par le chinois CGN.
Face au risque de rébellion des parlementaires, le front pro-chinois n’a pas réussi à venir en aide à Huawei. L’offensive en faveur du fabricant de Shenzhen a été dirigée par l’ex Premier ministre David Cameron, à la tête d’un fonds d’investissement chinois. Parmi ses soutiens figure son ancien chancelier de l’échiquier, George Osborne, l’architecte de l’accord anglo-chinois de 2015, aujourd’hui directeur du quotidien londonien Evening Standard. Il en est de même du groupe de presse Murdoch en raison des énormes intérêts que possède son propriétaire américain dans l’Empire du Milieu.
À l’approche du Brexit
Ce lobby a pu compter sur le soutien des brexiteurs purs et durs alors que le Royaume-Uni doit théoriquement quitter l’Union européenne au 31 décembre. À leurs yeux, la filière chinoise constitue le fer de lance du nouvel avenir planétaire du Royaume-Uni après le largage des amarres. En vain…
Une chose est claire, lancé en grande pompe il y a cinq ans par David Cameron et par le président Xi Jingping, l’âge d’or des relations anglo-chinoises est bel et bien terminé. Pour le Royaume-Uni, les retombées économiques négatives de l’exclusion de Huawei risquent d’être considérables. La Chine est actuellement le troisième marché d’exportation du Royaume-Uni pesant plus de 80 milliards de livres (88,1 milliards d’euros) en 2019.
Comme l’indique Jagjit Chadha, directeur du centre d’études londonien National Institute of Economic and Social Research : « Alors que la date butoir de la sortie de l’Union européenne se rapproche, que le Royaume-Uni s’efforce de tourner la page de la crise du coronavirus, la question est cruciale : quel type de relation économique veut-on construire avec la deuxième économie au monde ? »
Source : le point