Q INFOS – Maxwell-Epstein, un duo dont Jean-Luc Brunel n’était jamais loin

L’agent français Jean-Luc Brunel et Ghislaine Maxwell sur l’île de Jeffrey Epstein, au milieu des années 2000. — Photos fournies à «20 Minutes»

L'agent français Jean-Luc Brunel et Ghislaine Maxwell sur l'île de Jeffrey Epstein, au milieu des années 2000.
  • L’ex-compagne de Jeffrey Epstein, Ghislaine Maxwell, a été arrêtée jeudi aux Etats-Unis et inculpée de trafic sexuel de mineures.
  • La justice américaine continue d’enquêter sur le réseau Epstein, au sein duquel l’agent français Jean-Luc Brunel est accusé par plusieurs victimes d’avoir fait office de rabatteur.
  • 20 Minutes a enquêté pendant plusieurs mois sur les liens entre Jeffrey Epstein, Ghislaine Maxwell et Jean-Luc Brunel.

De notre correspondant aux Etats-Unis,

La photo donnait un premier indice. Jean-Luc Brunel est assis sur un fauteuil avec Ghislaine Maxwell, le bras passé autour d’elle, le teint bronzé par le soleil des Iles vierges et le sourire aux lèvres. Sur un autre cliché, pris quelques secondes plus tard, que 20 Minutes a obtenu, l’agent français est hilare, comme s’il venait de raconter la meilleure blague du monde à une vieille amie. On ne voit pas Jeffrey Epstein sur ces photos, mais il n’est pas loin : Brunel et Maxwell sont en vacances chez lui, au milieu des années 2000, sur son île de Little Saint-James, un paradis des Caraïbes où des dizaines de jeunes filles ont vécu l’enfer.

La résidence de Jeffrey Epstein sur son île de Little St. James, dans les îles Vierges.
La résidence de Jeffrey Epstein sur son île de Little St. James, dans les îles Vierges. – Miami Herald/TNS/Sipa USA/SIPA

Alors que Ghislaine Maxwell a été arrêtée aux Etats-Unis ce jeudi et inculpée de trafic de mineures, la procureure de Manhattan a prévenu que l’enquête se poursuivait pour démanteler le reste du réseau d’Epstein, qui s’est suicidé dans sa cellule en août 2019. Et pour l’avocat Spencer Kuvin, qui représente depuis 2007 plusieurs victimes du financier américain, « il n’y a aucun doute : tout comme Ghislaine Maxwell, Jean-Luc Brunel a procuré des jeunes filles mineures à Jeffrey Epstein, et doit en répondre devant la justice ». Reste à savoir où le septuagénaire français se trouve, alors qu’il n’a plus été vu en public depuis la soirée blanche du Paris Country Club, le 5 juillet 2019 – la veille de l’arrestation d’Epstein sur le tarmac de Teterboro, dans le New Jersey – et que l’enquête ouverte en France semble piétiner.

L'agent français Jean-Luc Brunel le 5 juillet 2019 à la soirée blanche du Paris Country Club.
L’agent français Jean-Luc Brunel le 5 juillet 2019 à la soirée blanche du Paris Country Club. – FACEBOOK

De Paris à New York

Depuis le début de l’affaire, une question est longtemps restée sans réponse : quand et comment Jean-Luc Brunel a-t-il fait la connaissance de Jeffrey Epstein, et pourquoi le financier américain a-t-il investi un million de dollars dans l’agence du Français au début des années 2000 à Miami ? Comme pour la plupart des personnes importantes dans la vie de Jeffrey Epstein, de Bill Clinton au Prince Andrew, l’intermédiaire entre Epstein et Brunel serait en fait Ghislaine Maxwell.

C’est l’avocat américain Bradley Edwards qui apporte la réponse dans ses mémoires Relentless Pursuit, sur sa longue bataille judiciaire avec Jeffrey Epstein, publiées au printemps en pleine explosion du coronavirus. Témoignant volontairement devant une équipe de plusieurs avocats en 2016, à New York, dans le cadre d’une procédure civile, Jean-Luc Brunel affirme qu’il connaît Ghislaine Maxwell depuis les années 1980, et que c’est elle qui lui a présenté Jeffrey Epstein au début des années 1990 à New York.

Laura Goldman, une amie de la famille Maxwell, confirme à 20 Minutes le premier point : « Ghislaine est née en France (à Maisons-Laffitte) et a fait la connaissance de Jean-Luc au milieu des années 1980. Elle venait souvent aux défilés à Paris ou aux ouvertures de boutiques. » Un photographe la décrit comme « la Paris Hilton de son époque, en plus distinguée ». Comprendre une socialite qui accompagne souvent son père, le magnat des médias britanniques Robert Maxwell, et sa mère française, Elizabeth (née Meynard), et côtoie les puissants. On la voit notamment à 25 ans, avec ses parents, au festival de Cannes, en mai 1987, un mois après la privatisation de TF1 menée par Robert Maxwell et Francis Bouygues.

Ghislaine Maxwell avec ses parents, Robert et Elizabeth Maxwell au festival de Cannes en mai 1987.
Ghislaine Maxwell avec ses parents, Robert et Elizabeth Maxwell au festival de Cannes en mai 1987. – Steve Wood/REX/SIPA

Celle qui a fait ses études à Oxford est la plus jeune des neuf enfants du couple, et aussi la préférée de son père, qui baptise son yacht le Lady Ghislaine. C’est du pont de ce navire que Robert Maxwell chute dans l’Atlantique, aux larges des Canaries, le 5 novembre 1991 – l’autopsie conclut à une crise cardiaque et à une noyade accidentelle, mais Ghislaine Maxwell défend la thèse du meurtre. Eplorée, elle abandonne ses frères face aux retombées du scandale des fonds des pensions des employés détournés par Robert Maxwell. Direction New York, en Concorde.

Nouvelle vie aux Etats-Unis

Habituée des palaces, Ghislaine Maxwell refait sa vie avec un trust fund de 100.000 dollars par an – le reste de la fortune familiale est gelé par la justice britannique – et loue un appartement dans l’Upper East Side à 2.000 dollars par mois, raconte à l’époque le New York Post. Rapidement, elle s’affiche au bras d’un mystérieux financier new-yorkais : Jeffrey Epstein. L’origine de sa fortune intrigue, alors que son seul client connu est le milliardaire Les Wexner, qui vient de racheter Victoria Secret. Ghislaine Maxwell est alors considérée comme la compagne d’Epstein – elle se présentera même plus tard à ses premières victimes, Annie et Marie Farmer, comme sa femme. Il lui ouvre son compte en banque et elle le fait profiter de son carnet d’adresses. Le couple devient habitué des podiums et voyage à Paris pour le défilé Valentino en 1992. Epstein a alors 39 ans, Maxwell 31.

C’est entre 1994 et 1997 que Ghislaine Maxwell a, selon l’acte d’accusation, « gagné la confiance » de trois jeunes filles « vulnérables », dont deux de 14 et 15 ans, et les a « attirées dans le piège qu’elle et Jeffrey Epstein avaient tendu ». Après le cinéma et le shopping sont venus les massages qui se sont transformés en « actes sexuels ».

Si Ghislaine Maxwell est venue à New York pour refaire sa vie, Jean-Luc Brunel, lui, espère y relancer sa carrière. Devenu radioactif à Paris après les accusations de viol de l’enquête de 60 Minutes, fin 1988, le patron de Karin Models part s’installer outre-Atlantique. Avec l’aide financière de son frère Arnaud Brunel, il devient silent partner dans l’agence Next Models que lance Faith Kates. « C’était un investisseur et un partenaire minoritaire. Il n’a jamais été impliqué dans la gestion des opérations », jure Kates à 20 Minutes. Plusieurs anciens employés assurent toutefois, sous couvert d’anonymat, qu’« en pratique, Jean-Luc Brunel était le patron de Next Miami. » Le Français débauche d’ailleurs plusieurs mannequins et salariés de Next quand il lance Karin Models USA, à Miami et New York en 1995-1996.

A New York, Brunel est vite rattrapé par sa réputation. « Il était obsédé par les filles, je ne le laissais jamais seul avec les mannequins », se souvient le photographe Clayton Nelson, de l’agence Click. A cette époque, le Français loue un appartement dans la Trump Tower, à Manhattan. Selon Nelson, il côtoie notamment l’agent italien Paolo Zampolli mais aussi… Donald Trump, qui veut lancer sa propre agence – c’est Zampolli qui présentera Melania Knauss (depuis Melania Trump) au futur président américain. Clayton Nelson se souvient notamment d’un incident au restaurant Coffee House, où il assure avoir vu Brunel, Zampolli et Trump suivre avec insistance un mannequin. « J’ai demandé à Brunel : ”Do we have a fucking problem here ?” », raconte le photographe. « Zere is no problem », répond le Français, qui culmine à 1m65.

Jeffrey Epstein, lui, orbite autour du milieu de la mode et cherche à investir. Ça tombe bien, Jean-Luc Brunel, qui vit au-dessus de ses moyens, a toujours besoin de cash. C’est à cette période, entre le début et le milieu des années 1990, que Ghislaine aurait présenté Epstein à son ami « Jean-Luc ». Quand Epstein achète son immense appartement parisien, avenue Foch, en 2001, il consulte d’ailleurs Brunel, selon une ancienne collaboratrice.

Passagers réguliers du jet privé d’Epstein

Epstein signe ensuite une lettre de crédit d’un million de dollars à Brunel, mais le projet d’agence commune avec Elite capote, et le Français change alors le nom de Karin USA en MC2 en 2005. Palm Beach, New York, Le Bourget, Saint-Thomas, Sao Polo, Prague… Entre 1998 et 2008, Jean-Luc Brunel voyage plus de 30 fois à bord du jet privé d’Epstein, surnommée par les tabloïds le « Lolita Express ». Souvent, ses initiales, « JLB », figurent à côté de « JE » et « GM » sur les registres de vol.

Dans sa déposition de 2010, l’ancienne comptable de MC2, Maritza Vasquez, affirme que Jean-Luc Brunel obtenait des visas pour faire venir des jeunes mannequins aux Etats-Unis et les procurer à Jeffrey Epstein, comme la Slovaque Nadia Marcinko, arrivée à 14 ans et logée dans un appartement appartenant au frère d’Epstein. L’une des principales accusatrices d’Epstein, Virginia Giuffre, a, elle, témoigné avoir été contrainte d’avoir des relations sexuelles avec le scout français. Selon elle, Ghislaine Maxwell était chargée de recruter des lycéennes américaines, et Brunel était « le principal fournisseur de filles étrangères », notamment d’Europe de l’Est et d’Amérique du Sud.

Virginia Roberts Giuffre tient une photo d'elle à 16 ans, quand elle a rencontrée Jeffrey Epstein.
Virginia Roberts Giuffre tient une photo d’elle à 16 ans, quand elle a rencontrée Jeffrey Epstein. – Miami Herald/TNS/Sipa USA/SIPA

Lors du concours tremplin Models New Generation, organisé par Jean-Luc Brunel en Equateur, le 25 août 2003, le « Lolita Express », avec à son bord Epstein et Maxwell, se pose à l’aéroport de Quayaquil (code « SEGU »), le 24 août. L’appareil redécolle le 25.

Un extrait d'août 2004 du manifeste de vol du jet privé de Jeffrey Epstein.
Un extrait d’août 2004 du manifeste de vol du jet privé de Jeffrey Epstein. – Document judiciaire

Dans la luxueuse demeure de Jeffrey Epstein à Palm Beach, où réside Ghislaine Maxwell, Jean-Luc Brunel se sent comme chez lui. L’ancien majordome du domaine, Janusz Banasiak, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Mais dans sa déposition au civil en 2010, il indique qu’Epstein et Brunel étaient « amis », et que le Français se faisait même à manger dans la cuisine du financier américain. Il téléphone régulièrement à la résidence et laisse des messages pour « Jeffrey », notés par des assistants sur des calepins retrouvés par la police. Comme celui-là, en 2005 : « Il [Brunel] a une prof pour vous apprendre à parler russe. Elle a 2×8 ans, pas blonde. Les leçons sont gratuites et vous pouvez avoir la première aujourd’hui si vous appelez ». Un message à peine codé pour désigner, selon les enquêteurs, une jeune Russe de 16 ans mise à disponibilité pour des massages à caractère sexuel.

Leur amitié continue. Quand Jeffrey Epstein purge une peine aménagée de treize mois de prison, en 2008, pour sollicitation de prostituée mineure, Jean-Luc Brunel lui rend visite en détention à de multiples reprises. Officiellement, la paire se brouille ensuite, et Brunel tente même de poursuivre Epstein, affirmant qu’il a perdu des millions de dollars en contrats à cause de « mensonges » sur ses liens avec Epstein. Mais sa plainte, que son avocat Joe Titone ne parvient pas à faire remettre en mains propres à Jeffrey Epstein, ne va nulle part. Bradley Edwards soupçonne le Français de jouer double jeu.

Collaborer avec la justice, le seul espoir de Ghislaine Maxwell

Quand il accepte de répondre aux avocats en 2016, Jean-Luc Brunel assure qu’il veut vider son sac. Il explique, raconte Bradley Edwards dans ses mémoires, qu’il est lui-même une victime d’Epstein, que ce dernier lui a permis de se relancer comme agent, et qu’il avait une dette envers lui. Son avocat, Joe Titone, affirme que Brunel « a beaucoup de photos, avec Epstein et ses amis » et que certaines incluraient « des jeunes filles ». Brunel accepte alors d’aller tout raconter aux procureurs du bureau de Manhattan le lendemain. Mais comme lorsqu’il a esquivé une déposition en prétextant se trouver à l’étranger six ans plus tôt, l’agent français se volatilise, assurant avoir été contraint de prendre l’avion en urgence.

La justice américaine a-t-elle cherché à entendre le Français depuis 2016 ? « Nous ne commentons pas les enquêtes en cours », répond le parquet de Manhattan. 20 Minutes a également posé une série de questions à Jean-Luc Brunel en avril dernier mais il n’a pas souhaité s’exprimer. « Nous réservons nos réponses aux autorités judiciaires », avait alors précisé son avocate française, Corinne Dreyfus-Schmidt. Jointe ce vendredi par 20 Minutes, elle reste sur la même ligne : « Nous attendons toujours que la justice nous fasse signe ». Pas de commentaires, donc, en attendant une possible convocation de son client. En 2015, Brunel avait démenti en bloc « avoir participé […] aux actes dont est accusé Epstein » et « avoir commis tout acte répréhensible » en tant qu’agent.

Ghislaine Maxwell, elle, risque au maximum trente-cinq ans de réclusion en cas de condamnation. Elle doit être transférée prochainement à Manhattan, où un magistrat sera chargé de trancher sur une possible libération sous caution à laquelle s’oppose le bureau du procureur, en raison d’un « risque de fuite » jugé élevé, avec ses trois passeports et ses 16 comptes en banque. Dos au mur, elle n’a désormais, selon l’avocat Spencer Kuvin, « pas d’autres choix que de tenter de négocier un plea deal en faisant tomber le reste du réseau. » Quitte à se retourner contre son ami de trente ans.


Source : 20 Minutes

Ghislaine Maxwell et Jeffrey Epstein au défilé Valentino à Paris en 1992.