Q SCOOP – 800 arrestations dans le milieu du crime organisé via un système de communication chiffré.


AN0M, l’application virale qui a abusé les réseaux criminels.

Des téléphones donnant un faux sentiment de sécurité aux groupes mafieux ont permis l’une des opérations de police les plus importantes et les plus sophistiquées de ces dernières années

Publié le 8.6.2021 par Le Temps avec l’AFP


Une image de l’argent saisi par la police néo-zélandaise en lien avec l’opération «Bouclier de Troie». — © New Zealand Police via AP

Convaincre les dirigeants de réseaux criminels d’adopter une application de messagerie cryptée et secrète, alors que celle-ci était en réalité contrôlée par les forces de l’ordre: le plan mis en place par le FBI et la police fédérale australienne semble digne d’un scénario de film d’espionnage. Pourtant il a fonctionné à merveille.

«Des centaines d’opérations policières dans le monde», «plus de 800 arrestations, plus de 700 lieux perquisitionnés, plus de 8 tonnes de cocaïne, plus de 22 tonnes de cannabis, 48 millions de dollars en cryptomonnaies…» Les déclarations policières triomphantes donnent l’ampleur du succès de l’opération «Trojan Shield» («Bouclier de Troie»), un coup de filet mondial contre le crime organisé, qui aura rassemblé les forces de sécurité de 17 pays.

Une application faussement rassurante

L’opération aura duré trois ans, au cours desquels la police «était installée dans la poche» de plusieurs figures importantes du crime organisé mondial, et avait accès à des échanges qu’elles pensaient entièrement sûrs, raconte le Washington PostDes communications au sujet de projets d’assassinat, des trafics de drogue et d’armes ou encore d’opération de blanchiment d’argent. Comment des criminels aguerris se sont-ils laissé tromper?

Le subterfuge est simple en apparence. Des téléphones spéciaux vendus environ 2000 dollars sur le marché noir, équipés de seulement trois fonctionnalités: envoyer de messages, faire des vidéos et brouiller la voix. Ils étaient ainsi équipés d’une application de messagerie appelée AN0M, ayant l’apparence d’une application de machine à calculer. Pour accéder à la messagerie prétendument cryptée, il suffisait d’entrer un code secret sur le clavier de la calculatrice, explique The Australian. Le service proposait d’envoyer des messages capables de s’autodétruire après un temps donné, ainsi qu’une fonction permettant d’effacer rapidement la totalité du contenu de l’appareil.

Les propriétés de ces téléphones, développés en réalité dans le plus grand secret par le FBI, répondaient manifestement à une demande dans des réseaux avides de trouver un nouveau canal pour discuter leurs activités criminelles après l’arrestation du patron de Phantom Secure en 2018, une entreprise qui proposait un service similaire.

Des «influenceurs criminels»

Ces appareils, dont les 50 premiers exemplaires ont été mis en circulation en Australie et vantés sur le réseau social Reddit par les forces de l’ordre, étaient uniquement capables de communiquer avec un autre téléphone du même type, à l’aide d’un code qui devait être transmis par un utilisateur existant d’AN0M. Une fois adoptés par certains, ils se sont vite répandus, rencontrant le succès auprès de réseaux mafieux sur plusieurs continents, des cartels sud-américains aux triades asiatiques. «Un criminel devait connaître un autre criminel pour obtenir ce matériel», ajoutant un élément de confiance, «car de grandes figures du crime organisé se portaient garantes de son intégrité», explique la police australienne. Au final, grâce à ces «influenceurs criminels», quelque 12 000 téléphones, dans plus d’une centaine de pays, ont été utilisés, générant quelque 27 millions de messages, rappelle Europol.

Outre les centaines d’arrestations et l’interception de cargaisons de drogue, «plus de 100 menaces mortelles ont été déjouées», affirme le directeur adjoint du FBI. «Les résultats sont stupéfiants.»


800 arrestations dans le milieu du crime organisé via un système de communication chiffré.

Europol salue l’une des opérations « les plus importantes et les plus sophistiquées à ce jour dans la lutte contre les activités criminelles ».

Publié le 9 juin 2021 Par Benjamin Terrasson

 La police australienne a activement participé à l'infiltration du système Anom.

 La police australienne a activement participé à l’infiltration du système Anom.

Europol a annoncé le 8 juin le succès d’une opération de police d’une envergure impressionnante appelée « Trojan Shield », « Greenlight » ou « Ironside » selon les pays. Une coalition internationale de police, impliquant 16 pays, est parvenue à avoir accès à un système de communication chiffrée utilisé, par des criminels, nommé Anom. Cet accès a permis au total d’arrêter 800 personnes, appartenant à la mafia italienne, à des syndicats criminels asiatiques, à des gangs de motards.

Anom, une presque création du FBI

Tout débute en 2018, lorsque le FBI arrête Vincent Ramos, PDG d’une entreprise, Phantom Secure, qui vend justement des téléphones chiffrés à des criminels. En marge de cette arrestation, le FBI a recruté une source « humaine », membre de Phantom Secure, rapporte un document de la justice américaine, relayé par Le Monde.

Cette source a proposé aux agents fédéraux américains d’utiliser l’infrastructure technique d’un système de messagerie chiffré destiné au crime organisé qu’elle a développé. Les autorités américaines ont lancé en octobre 2018 le service Anom. Il ne propose que l’envoi de messages, chiffrés et accessibles uniquement au marché noir. Le FBI possédait évidemment la clef pour avoir l’accès à l’ensemble des échanges des utilisateurs.

Après un bêta test, plutôt concluant, aidé par trois anciens revendeurs de Phantom Secure, l’opération a pris de l’ampleur. La police australienne a été rapidement intégrée. Elle a notamment pu faire en sorte de mettre les appareils Anom entre les mains de suspects connus de ses services. Dans un communiqué elle a expliqué que « Les appareils ont circulé et leur popularité a grandi parmi les criminels, qui avaient confiance dans la légitimité de l’application, car de grandes figures du crime organisé se portaient garantes de son intégrité ».

« Plus de 12 000 téléphones chiffrés ont été utilisés par plus de 300 organisations criminelles »

La police nationale néerlandaise, l’autorité policière suédoise et d’autres ont rejoint l’opération, soutenues par une task force opérationnelle d’Europol. Au total « Plus de 12 000 téléphones chiffrés ont été utilisés par plus de 300 organisations criminelles » dans une centaine de pays a fait savoir Jean-Philippe Lecouffe, directeur adjoint des opérations d’Europol. Selon les autorités américaines, les dispositifs Anom étaient particulièrement actifs dans cinq pays, l’Allemagne, la Serbie, l’Australie, l’Espagne et les Pays-Bas. Plus de 27 millions de messages ont été analysés, offrant un panorama unique sur les échanges concernant des trafics de stupéfiants, du blanchiment d’argent, des projets d’assassinats.

Carte du monde de l'utilisation d'Anom

Carte de l’utilisation d’Anom dans le monde. Crédit : issue d’un document de la justice américaine.

Anom a bénéficié d’un coup de pouce bienvenu en 2020 et 2021, deux services de chiffrement similaire ont été démantelés. Sky ECC et EncroChat ont été infiltrés par les forces de l’ordre françaises, néerlandaises, belges, donnant un coup sérieux au crime organisé. Selon le document diffusé par la justice américaine, après la chute de Sky Global, qui gérait le service Sky ECC, en mars 2021, les utilisateurs actifs d’Anom sont passés de 3 000 à 9 000.

Après trois ans, le bilan de l’opération est d’une ampleur vertigineuse. Outre les plus de 800 arrestations à travers le monde, ont été saisis 8 tonnes de cocaïnes, 22 tonnes de cannabis, 8 tonnes de drogues de synthèse (Amphétamine et méthamphétamine), 250 armes à feu, 55 véhicules de luxe, 48 millions de dollars en diverses devises.

Tableau représentant le bilan de l'opération Anom

Le bilan de l’opération d’infiltration d’Anom. Crédit : Europol

L’opération Trojan Shield va-t-elle vraiment déstabiliser les organisations criminelles ?

Les autorités des différents pays se sont félicitées tant de la coopération internationale que du bilan flatteur de l’opération. Linda Staaf, chef du renseignement de la police suédoise a salué « l’une des plus grandes opérations policières dirigées par les services de renseignement contre la criminalité violente et les réseaux de drogue jamais menées en Suède ».

Mais la succession des opérations, réussies, contre Sky ECC, EncroChat, le réseau Anom, interroge sur la résilience des réseaux criminels, capable de passer d’un système de chiffrement à l’autre. Le Chef adjoint des opérations de la Drug Enforcement Administration (DEA) a déclaré le 8 juin, « Ces opérations soulignent la gravité de la menace internationale liée aux drogues et constituent une base solide sur laquelle les enquêtes futures pourront s’appuyer ».


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