
Quand Wikileaks révélait des clauses secrètes de la Françafrique
Publié le 23.9.2023
Certaines clauses secrètes d’accords conclus dans les années 60 entre la France et ses ex-colonies africaines ont été évoquées devant des Américains afin de justifier leur révision, selon des mémos américains de WikiLeaks, publiés par Le Monde.

Lors d’un entretien avec un diplomate américain, le même conseiller souligne le caractère « ridicule » d’autres clauses secrètes accordant à la France le monopole des ressources naturelles dans certains pays. « Imaginez-vous, lance-t-il, que nous puissions invoquer notre accord avec le Togo pour lui ordonner de bouter la Chine hors de +notre+ pays ? », aurait-il ajouté.
La rupture de la politique française en Afrique, affichée depuis 2007 par le président français Nicolas Sarkozy, a été bien accueillie par les Américains qui y ont vu une possibilité d’accroître leur influence sur le continent, montrent d’autres télégrammes diplomatiques.
« Les Français accueillent favorablement l’extension de la présence américaine en Afrique comme moyen de contrebalancer l’expansion régionale de la Chine », note un mémo. La nouvelle politique française « peut donner aux États-Unis des occasions d’étendre leur influence en Afrique sans rencontrer de résistance ni d’interférence de la France », relève un autre télégramme.
L’un des membres de la cellule Afrique de l’Élysée, Romain Serman, reconnaît que les accords de défense encore en vigueur avec huit pays africains sont absurdes, donnant à la France « un accès monopolistique aux ressources naturelles ».
Un fonctionnaire du ministère de la Défense français décrit, sans honte, la relation franco-africaine comme une relation « parent-enfant », dont l’enfant, maintenant « adulte, est capable et mérite plus d’autonomie, ayant cependant toujours besoin d’aide et d’orientation ».
Un haut fonctionnaire de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) a confié à un diplomate américain que les dirigeants gabonais auraient détourné près 30 millions d’euros.
La source précise que les dirigeants gabonais ont utilisé les fonds détournés pour leur enrichissement personnel et, suivant les instructions de Bongo, auraient remis une partie de l’argent à des partis politiques français, y compris en soutien au président français Nicolas Sarkozy.
L’idée de réseaux parallèles et opaques destinés à agir en dehors des canaux officiels n’est évidemment pas étrangère aux américains. « La nature imprévisible et parfois violente des événements en Afrique peut parfois tenter, voire obliger, les Français à agir de façon moins vertueuse qu’ils ne le voudraient », constate poliment un télégramme de novembre 2009 obtenu par WikiLeaks et consulté par Le Monde. Comme « tous les gouvernements du monde le savent, le moyen le plus efficace (…) pour défendre l’intérêt national (n’est pas nécessairement) le moyen le plus joli ».
La fin de la Françafrique, annoncée par Nicolas Sarkozy peu après son investiture, a été plus que bien accueillie par les États-Unis. Ce pour une raison simple : Washington tentait de se glisser dans la place laissée par Paris, d’après des documents diplomatiques confidentiels, révélés par WikiLeaks.
« Cette nouvelle politique peut donner aux États-Unis des occasions d’étendre leur influence en Afrique sans rencontrer de résistance ni d’interférence de la France ». D’après les diplomates américains, les initiatives des États-Unis en Afrique sont bien perçues par la France. Les documents diplomatiques citent deux exemples de ces initiatives : Africom , le commandement militaire pour l’Afrique, et le programme de lutte contre le terrorisme au Sahara. Selon les États-Unis, « les Français accueillent favorablement l’extension de la présence américaine en Afrique comme moyen de contrebalancer l’expansion régionale de la Chine ». Mais, les diplomates de Washington considèrent que « tuer la Françafrique est plus facile à dire qu’à faire ». Ils soulignent que certains leaders africains eux-mêmes sont réticents au changement, notamment ceux qui tiraient des avantages du système, ceux qui, comme le rappelle l’ambassade américaine à Paris, « ont pu amasser des fortunes privées, parfois transformées en un vaste patrimoine immobilier et autre, en France et en Europe ».
Bongo qui règne de 41 ans a sans doute acquis une influence considérable, ainsi que des moyens de pression de taille sur ses obligés de droite comme de gauche en France. Dans ces conditions, il devenait sans doute très difficile pour les dirigeants français de lâcher le clan Bongo. L’élection du fils en 2009 a soulevé beaucoup d’interrogations ; des diplomates français et américains ont affirmé par la suite qu’Ali Bongo avait fait inverser les résultats en sa faveur. Pourtant, la France s’est empressée de reconnaître son élection.
Au Togo, le président Eyadéma était, lui aussi, connu pour sa grande « générosité ». « Il avait souvent des valises bourrées d’argent toutes prêtes pour ses visiteurs français. Même l’extrême droite venait, elle aussi, chercher sa part. Bien sûr, c’était moins que pour la droite, mais il y en avait pour tous ». À sa mort en 2005, son fils Faure lui a succédé lors d’une élection très contestée. Là encore, Paris s’est empressé de reconnaître le sacre du fils, symbole de continuité. Son père avait régné 38 ans.
«Pour financer sa campagne, Sarkozy reçoit une grande partie de cet argent pourtant volé dans une banque appartenant à des pays pauvres africains. Entre les discours et les actes, il y a un grand fossé chez Sarko. Du coup, ses figures rhétoriques sur la bonne gouvernance perdent toute leur valeur. On comprend que Gbagbo donne des céphalées à Sarkozy. C’est un empêcheur de voler. Paris sait qu’avec lui, on ne peut pas piller comme on le veut les ressources de la Côte d’Ivoire. »
Les « relations d’affaires » troubles d’une partie de la classe politique française avec des dictatures africaines ont duré trop longtemps et brouillent le message de la France en Afrique. Même au milieu des plus beaux discours flotte toujours une légère odeur de pétrole, de soufre et d’argent sale. L’amère rançon de la Françafrique.
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