Althéa Provence : AIGUILLES DE PIN SYLVESTRE : LE VRAI DU FAUX (SURAMINE, ACIDE SHIKIMIQUE, ETC.)


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Aiguilles de pin sylvestre : le vrai du faux (suramine, acide shikimique, etc.)

Publié le 16.9.2021 par Christophe Bernard herbaliste


J’aimerais vous parler des aiguilles de pin sylvestre. C’est un sujet qui est très présent sur internet et sur les réseaux sociaux en ce moment. Il y a de nombreuses allégations sur le fait que les aiguilles de pin sont l’un des remèdes contre la Covid. Et ça fait plusieurs semaines que vous me posez la question : j’en pense quoi, exactement ?

Je vais donc vous expliquer ma position sur le sujet.

Une opinion et pas de certitudes

Le premier point qui me semble important, c’est de vous expliquer ma position. En général, j’aime vous parler de plantes que je connais directement ou indirectement. Je les connais directement au travers de mon travail de conseil et d’accompagnement, j’ai donc du recul sur le sujet. Parfois j’ai une connaissance indirecte parce que j’ai échangé avec des praticiens que j’apprécie beaucoup et avec qui je suis en contact dans différents pays : France, Allemagne, Angleterre, États-Unis, Australie, etc.

Et parfois, je vais vous donner des informations spéculatives. Ça veut dire que je n’ai pas l’expérience directe ou indirecte, je n’ai pas de recul, et je vais donc vous donner une interprétation de certaines données. Et quand je le fais, je veux être très clair avec vous.

Donc dans la position que je vais développer ici, je vous le dis clairement : je n’ai pas de certitudes, ça va être relativement spéculatif, mais ça me semble tout à fait logique. Et puis de toute manière vous m’avez posé la question, donc je vais y répondre de la manière la plus précise possible.

Pin sylvestre

Un vieux remède qui fait surface

Premier point au sujet des aiguilles de pin : c’est le fait que c’est un vieux remède qui refait surface. Un remède qu’on connait bien. Dans le monde de l’herboristerie, on utilise souvent les conifères. D’ailleurs je vous avais fait un épisode sur les bienfaits des bourgeons de pin et de sapin en 2018 si vous vous souvenez ?

Dans de nombreux pays nordiques, on prépare un sirop à partir des aiguilles de pin. On connait les propriétés de longue date. Les aiguilles de pin sont riches en vitamine C et en antioxydants (2). Elles ont un effet protecteur sur les bronches et tout le système respiratoire. Un effet expectorant, un effet désinfectant. Il y aura meilleure production de mucus protecteur, et c’est dans ce mucus que patrouillent les macrophages.

L’huile essentielle de pin sylvestre est riche en monoterpènes, alpha-pinène, béta-pinène, limonène, etc. Ce qui lui donne des propriétés antiseptique, stimulant immunitaire, expectorant, décongestionnant respiratoire. C’est excellent tout ça.

Donc dans le contexte de toute infection respiratoire, Covid y compris, les aiguilles de pin vont apporter un effet stimulant et protecteur qui est dans l’ensemble bénéfique. Remède miracle ? Non, je ne crois pas aux remèdes miracles. Mais une plante qui peut soutenir nos défenses naturelles et protéger les « portes d’entrée », oui, absolument.

Donc déjà, il faut que ce point-là soit clair, j’ai une bonne opinion des aiguilles de pin sylvestre pour la prévention, la préparation à la période hivernale, et l’accompagnement d’une infection virale qui affecte les bronches.

Maintenant, le problème que j’ai, c’est un problème de positionnement. Je ne suis pas confortable avec les allégations très tranchées qui positionnent les aiguilles de pin sylvestre comme LE remède anti-covid. C’est beaucoup plus nuancé que ça, comme vous le savez. Donc maintenant, je vais prendre quelques allégations une par une et les analyser.

sirop pin sylvestre

Aiguilles de pin et suramine

La première allégation, c’est que les aiguilles de pin contiennent une substance qui s’appelle la suramine. La suramine, qu’est-ce que c’est ? Eh bien c’est une molécule de synthèse inventée par 2 chimistes d’un laboratoire pharmaceutique Allemand dans les années 1920. A l’origine, le médicament est utilisé pour détruire des parasites, des trypanosomes pour être exact, donc utilisé pour des maladies qui frappent certains pays, en Afrique par exemple avec la maladie du sommeil.

On lui a découvert d’autres propriétés, anticancer, inhibiteur d’une enzyme qui s’appelle la reverse transcriptase et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’on en parle dans le contexte du Covid. Nous avons une étude in vitro, donc dans un tube à essai, qui démontre que la suramine inhibe la réplication du Covid. Ce que ça signifie sur l’humain, on ne sait pas. Mais du coup, on en parle, parmi d’autres molécules synthétiques qui pourraient constituer un traitement. Sachant que cette molécule n’est pas sans toxicité, et ça c’est encore une discussion à part. D’ailleurs, l’utilisation de la suramine qui est un médicament, ce n’est pas ma spécialité, donc je laisse ça aux autre.

Mais alors, quel rapport avec les aiguilles de pin ? Eh bien à ma connaissance, aucun. Je ne trouve aucune trace du fait que les aiguilles de pin pourraient contenir cette molécule synthétisée en laboratoire.

Voici ce qu’on trouve, si on met vraiment le nez dans le processus de fabrication, et ici je précise que je ne suis pas chimiste :  la suramine, au tout début, a été synthétisée à partir un colorant chimique qui s’appelle le bleu de trypan. Le bleu de trypan est fabriqué à partir de toluidine. La toluidine est obtenue par distillation de certains goudrons. Et devinez ce qu’on peut fabriquer avec de la résine et du bois de pin ? Du goudron.

C’est le seul lien que j’ai pu trouver entre suramine et aiguilles de pin sylvestre. Avec la résine et le bois de pin, on peut faire du goudron, duquel on peut synthétiser la toluidine, de laquelle on peut synthétiser le bleu de trypan, duquel on peut synthétiser la suramine. Et là, on respire, on fait une pause. C’est un processus complexe et de laboratoire. A ma connaissance, mon corps n’est pas capable de faire cette transformation. Ou alors écrivez-moi et j’ai raté un truc, chose qui est tout à fait possible, auquel cas je ferai une correction.

Donc y a-t-il de la suramine dans les aiguilles de pin ? Non, pas à ma connaissance. En ce qui me concerne, cette affirmation n’est pas correcte.


Aiguilles de pin et acide shikimique

Une autre affirmation, c’est le fait que les aiguilles de pin sylvestre aident à combattre les infections virales car elle contiennent de l’acide shikimique, qui est à la base d’un médicament qui s’appelle Tamiflu, et qui est utilisé pour lutter contre la grippe.

(Note : le Tamiflu, c’est encore un dossier à part, avec une efficacité remise en question aujourd’hui et des risques non négligeables – du hors sujet, je refèrme très vite cette parenthèse)

L’acide shikimique agit comme inhibiteur d’une enzyme qui s’appelle la neuraminidase, qui est présente à la surface du virus et qui lui permet d’attaquer les parois de nos propres cellules pour les pénétrer et se multiplier. Un peu comme les constituants du sureau entre parenthèse, les études nous montrent qu’ils inhibent aussi la neuraminidase. Mais bon, le sureau, c’est largement moins sexy que l’acide shikimique.

Trouve-t-on de l’acide shikimique dans les aiguilles de pin ? La réponse est oui, on en trouve. Les références sont à la suite de l’article si ça vous intéresse. Une étude (3) explique que la demande pour cette substance est élevée, ça c’était en 2008 lorsque l’étude a été publiée, une demande élevée pour fabriquer des médicaments antiviraux justement. Donc quelles ressources naturelles pourrait-on utiliser ? L’étude démontre que l’acide shikimique des aiguilles de pin sylvestre peut être extrait d’une manière relativement simple avec de l’eau, donc un processus d’infusion tout simplement, et la pureté et le rendement est excellent pour ce type d’extraction.

Toxicité de l’acide shikimique

Vous verrez sur internet qu’il pourrait y avoir une toxicité de l’acide shikimique. On mentionne souvent des études faites dans les années 1970 sur des souris. J’ai pu obtenir une de ces études, et je suis allé voir ce que les chercheurs disaient exactement. On parle de quantités qui varient entre 1 et 20 mg d’acide shikimique injectés dans le sang de souris, avec 9 souris sur 14 qui ont développés des lésions précancéreuses après une durée d’injection qui a duré entre 8 et 16 mois.

Si je prends le fait que les aiguilles de pin sylvestre contiennent entre 1.5 et 2.5 % d’acide shikimique (d’après les études), ça correspondrait à une quantité de 50 mg d’aiguilles de pin pour une souris de, disons, 20 g. Si je ramène ça a un adulte de 70 kg, ça me ferait, si mes calculs sont bons, 175 g d’aiguilles de pin ! C’est énorme ! Et je n’ai même pas pris en compte la perte au travers de l’absorption intestinale.

Donc je répète, on a pris des souris, on leur a injecté directement dans le sang une quantité d’acide shikimique qui correspondrait à une énorme quantité d’aiguilles de pin, et on a fait ça tous les jours pendant 8 à 16 mois. Représentatif ou pas de la réalité ? A votre avis ? Non. Pas représentatif. Le constituant isolé de la plante (d’ailleurs voir mon coup de gueule sur le totum par rapport à un constituent isolé) n’agit pas comme le totum. On sait que dans le totum, on a certains constituants qui vont diminuer la toxicité d’autres constituants. Et comme vous allez le voir, de toute manière, je ne vais pas parler de prise en continue des aiguilles de pin dans mes recommandations.

Donc pour résumer, cette présence d’acide shikimique dans les aiguilles de pin, pour moi, c’est un point positif.

Ceci dit, quelle est l’efficacité d’un point de vue pratique dans le contexte d’une infection virale comme le Covid ? Je ne sais pas. Je n’ai pas de recul à ce stade. Mais inclure les aiguilles de pin dans ma liste d’infusions de temps à autre, avec des rotations avec d’autres plantes, et pas en continu : oui, ça me semble intéressant.

pin sylvestre

Capacité détox

Autre affirmation, le fait que les aiguilles de pin sont riches en antioxydants, et que ceci permettrait de booster nos réserves en antioxydants pour éliminer certaines toxines qui se sont retrouvées dans notre système et qui pourraient être de nature très inflammatoire.

Oui, les aiguilles de pin sont riches en antioxydants et en substances antiinflammatoires. Le romarin aussi. Et le curcuma. Et le gingembre. Et la reine-des-prés. Etc., etc. Et dans le monde des plantes, on a des tonnes d’antioxydants remarquables. On a certaines familles qui en sont très riches, comme la famille des lamiacées. Je ne pense pas que les aiguilles de pin aient quelque chose d’extraordinaire ici. Et je vous dirais même que si je devais prendre une plante qui augmente mes réserves de glutathion intra-hépatique, qui protège mon foie et mes reins qui vont devoir éliminer quelque chose d’agressif, je choisis le chardon-marie, pas les aiguilles de pin.

Mais bon, là encore, en rotation avec d’autres plantes, pourquoi pas ? C’est une bonne idée. Ca permet de profiter de différents profils de constituants, de différentes actions. Mais je n’adhère pas au fait que ce soit l’antioxydant avec un grand A qui puisse résoudre une situation de fort stress oxydatif ici.


Aiguilles de pin sylvestre et thromboses

Dernière affirmation, le fait que les aiguilles de pin peuvent aider lorsqu’il y a un risque de thrombose. C’est vrai, ça a été démontré chez l’animal pour les aiguilles de pin (4)(5), et chez l’humain aussi pour l’écorce de pin maritime avec une substance brevetée qui s’appelle le Pycnogenol et qui est un peu à part, c’est pas quelque chose qu’on peut fabriquer chez soi donc on va laisser le Pycnogenol de côté.

Pour les aiguilles de pin, cet effet serait dû, en partie, à l’acide shikimique d’après les études, encore lui. Et on a un effet qui inhibe la formation de la fibrine, effet similaire à l’aspirine d’après un étude, et un effet fibrinolytique aussi. Donc pour dire les choses dans des termes plus simple, on aurait un effet qui prévient la formation de caillots, et un effet qui agit aussi sur les caillots une fois formés pour les résorber.

Même point que précédemment, quel est l’effet en vrai, d’un point de vue pratique, sur l’humain, de la consommation d’une simple infusion d’aiguille de pins ? Je ne sais pas, je n’ai pas la réponse, je n’ai pas le recul, mais les données vont dans le bon sens et me font dire que c’est probablement quelque chose qu’on peut inclure dans un programme à base de plantes si nécessaire. Et là encore consultez votre médecin si nécessaire.

Ecorce de pin maritime

Quel type de pin ?

Quel type de pin peut-on utiliser ? On parle beaucoup d’aiguilles de pin sylvestre car c’est celui qui a été le plus utilisé en herboristerie. J’ai vu des études sur les teneurs en acide shikimique de Pinus densiflora (le pin rouge du Japon). Sur Pinus elliottii (le pin d’Eliott).

Chez moi j’ai plutôt du pin d’Alep (Pinus halepensis). Il n’est pas vraiment utilisé en France, du moins pas à ma connaissance. Il est utilisé dans certains pays comme en Algérie (5), avec une utilisation traditionnelle pour les infections urinaires ou pulmonaires.

Je ne pense pas que le pin sylvestre ait quelque chose de spécial, c’est juste qu’on le connait bien en herboristerie, c’est celui qu’on a utilisé le plus. Personnellement, je vous dirais que je suis partisan de faire local. En revanche, j’ai beaucoup moins d’information sur le pin d’Alep, donc dans le doute, je vous conseille de vous orienter plus sur les aiguilles de pin sylvestre.

Préparation

Pour les préparations, on utilise idéalement les aiguilles fraiches pour leur teneur en vitamine C. On récupère les aiguilles uniquement, pas les branches. On les coupe en morceaux et on va mettre l’équivalent d’une cuillère à soupe ou d’une grosse pincée par tasse. J’ai vu plusieurs recettes, et c’est vrai que la recette traditionnelle est de faire bouillir un peu avant de laisser infuser. Mais si on voulait maximiser la teneur en vitamine C, il vaudrait mieux faire chauffer l’eau à disons 90°C, sachant en plus que l’acide shikimique semble être extrait d’une manière efficace à basse température (3). On laisse infuser une quinzaine de minutes. On filtre et on boit. Le goût est tout à fait plaisant. Et puis on peut suivre la recette traditionnelle aussi et faire bouillir, ça va donner quelque chose de plus goûteux.

On peut rajouter un peu de miel si nécessaire, et personnellement je ferais une tasse de temps en temps en prévention, en alternant avec d’autres protecteurs des bronches et stimulants de l’immunité, voir mes épisodes covid du printemps 2020. Et pour une infection déclarée, je monterais à plusieurs tasses par jour, mais combiné avec d’autres plantes, là encore voir mes épisodes précédents.


Résumé

Donc je résume parce que je vous ai donné beaucoup d’information. A priori pas de suramine dans les aiguilles de pin, mais des antioxydants, des antiinflammatoires, des vitamines, de l’acide shikimique et d’autres substances qui rendent les aiguilles de pin intéressantes.

Dans quel contexte est-ce que moi je les utiliserais ?

Situation 1 : prévention d’une infection virale type Covid ou autre, en combinaison avec d’autres plantes, pas seul, voir tous les épisodes que je vous ai fait au printemps 2020 sur le Covid. Et je l’avoue, après avoir terminé mes recherches sur les aiguilles de pin, j’ai décidé d’inclure les aiguilles de pin dans ma boîte à outils. Ici ce qui me plait, c’est l’aspect antioxydant, stimulant de l’immunité et protecteur des bronches. Mais comme je vous disais ce n’est qu’un outil parmi d’autres.

Situation 2 : en soutien d’une infection virale déclarée, en combinaison avec d’autres plantes, pas seul. Et en m’assurant toujours d’avoir un soutien médical si nécessaire bien sûr. Ici ce qui me plait c’est l’aspect protecteur des bronches, l’aspect antiinflammatoire et l’aspect circulatoire.

Est-ce que je l’utiliserais les aiguilles de pin pour aider le corps à gérer une charge en substances pro-inflammatoires et potentiellement toxiques ? Probablement pas en première intention. J’ai d’autres plantes dans ma boîte à outils qui me semblent plus intéressantes, avec un passé largement mieux établi, je vous ai d’ailleurs cité le chardon-marie comme exemple.

Et c’est tout. C’est déjà bien vous me direz. Plante utile, oui, en combinaison avec d’autres, dans le contexte d’une réflexion plus large pour voir comment nous pouvons améliorer notre immunité et notre vitalité pour faire face aux agressions. Toujours revenir aux grands piliers du bien-être. Remède miracle, remède uniciste ? Non, pas chez moi. Ce n’est pas mon style de pratique, ni mes croyances, ni mon expérience.

Et comme je vous ai dit en introduction, au final, ceci n’est qu’une opinion. J’espère qu’elle vous aura été utile pour vous faire votre propre idée, et je vous conseille d’écouter et de lire d’autres sources, ceci afin de garder votre esprit critique et de ne pas vous fier à une personne uniquement.

A très bientôt pour un nouvel épisode sur les plantes médicinales.

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