Pékin et les talibans : la sécurisation des investissements chinois.


Pékin et les talibans : la sécurisation des investissements chinois.

Publié le 1.9.2021 par Antonio Graceffo


(À gauche) : Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi s'exprime lors du Forum de Lanting à Pékin, le 25 juin 2021. (À droite) : Le chef de l'équipe de négociation des talibans, le mollah Abdul Ghani Baradar, regarde la déclaration finale des pourparlers de paix entre le gouvernement afghan et les talibans à Doha, au Qatar, le 18 juillet 2021. (Jade Gao, Karim Jaafar/AFP via Getty Images)
(À gauche) : Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi s’exprime lors du Forum de Lanting à Pékin, le 25 juin 2021. (À droite) : Le chef de l’équipe de négociation des talibans, le mollah Abdul Ghani Baradar, regarde la déclaration finale des pourparlers de paix entre le gouvernement afghan et les talibans à Doha, au Qatar, le 18 juillet 2021. (Jade Gao, Karim Jaafar/AFP via Getty Images)

Le succès des investissements de la Chine au Pakistan dépend du renforcement des relations avec les talibans.

Le corridor économique Chine-Pakistan (CPEC) est une série d’initiatives, similaires au reste de l’initiative « la Ceinture et la Route », aussi nommée « la nouvelle route de la soie », ou désormais également « Initiative ceinture et route », comprenant des infrastructures, des transports, de l’énergie, des matières premières, des télécommunications et des services bancaires. Le CPEC et la Ceinture et la Route maritime relient la Chine au port pakistanais de Gwadar, ce qui facilitera les expéditions de pétrole de l’Iran vers la Chine. En outre, la Chine et le Pakistan ont prévu d’étendre le CPEC pour inclure 12 marchés frontaliers avec l’Afghanistan. Au total, la valeur du CPEC est estimée à 62 milliards de dollars.

Depuis que les États-Unis ont annoncé leur retrait d’Afghanistan, les attaques terroristes au Pakistan se sont multipliées, notamment contre les projets du CPEC. Certains experts estiment que le succès du CPEC et de la nouvelle route de soie en général dépend de la stabilité en Afghanistan et de l’arrêt des attaques terroristes au Pakistan. Les séparatistes sindis ont uni leurs forces à celles de l’Armée de libération baloutche pour attaquer les projets du CPEC, tout comme le Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP), les talibans pakistanais. Des travailleurs chinois ont été visés par une attaque terroriste contre un projet hydroélectrique du CPEC dans le fief traditionnel du TTP, la province de Khyber Pakhtunkhwa. Le TTP a également perpétré un attentat contre un hôtel de Quetta, capitale de la province du Baloutchistan (sud-ouest), visant l’ambassadeur de Chine.

Jaish-e-Mohammed (JEM) est une autre organisation terroriste active dans la région. Le JEM entretient des liens étroits avec les talibans et aurait reçu des fonds d’Oussama ben Laden. Le régime chinois a bloqué les efforts déployés par les États-Unis et l’Inde pour mettre sur liste noire le chef du JEM , Masood Azhar. Les États-Unis et plusieurs pays alliés avaient demandé au Conseil de sécurité de l’ONU de soumettre Azhar à un embargo sur les armes, à une interdiction de voyager et à un gel des avoirs, mais la Chine a placé la motion en « attente technique ». Le JEM est connu pour avoir attaqué des cibles indiennes, mais n’a pas été étroitement lié à des attaques contre des biens chinois. Le groupe, qui a des liens avec Al-Qaïda, a été accusé par les autorités pakistanaises d’avoir tué le journaliste américain Daniel Pearl en 2002, ainsi que d’avoir perpétré deux tentatives d’assassinat sur l’ancien président Pervez Musharraf en 2003. Il est possible que le soutien du Parti communiste chinois (PCC) au JEM au sein du Conseil de sécurité ait été une tentative de maintenir de bonnes relations avec les groupes terroristes afin d’éviter des attaques contre des biens chinois.

Avec la perte de contrôle des États-Unis en Afghanistan, on s’attend à ce que le TTP et d’autres groupes terroristes s’enhardissent et commettent davantage d’attentats au Pakistan. En juillet, des travailleurs chinois du projet hydroélectrique de Dasu ont été tués dans un attentat à la bombe. En août, un cortège transportant des travailleurs chinois a été attaqué par un kamikaze. Les responsables chinois ont imputé ces attaques aux talibans pakistanais (TTP).

Le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, pendant une conférence de presse à Kaboul, en Afghanistan, le 24 août 2021. (Hoshang Hashimi/AFP via Getty Images)

Les experts de la défense voient trois issues possibles au retrait américain d’Afghanistan. La situation peut se terminer par une résolution négociée, une guerre civile ou une prise de pouvoir généralisée par les talibans. Quelle que soit l’issue, il semble que les talibans s’imposeront comme les dirigeants de l’Afghanistan. Par conséquent, Pékin est prêt à cimenter davantage ses relations avec les talibans, afin de sécuriser ses investissements au Pakistan. Dans le même temps, la force et la stabilité d’un Afghanistan dirigé par les talibans dépendront largement du financement qu’ils recevront de l’étranger, ainsi que de leurs relations politiques avec les principaux acteurs : la Chine, le Pakistan et les États-Unis.

Officiellement, les talibans afghans ont déclaré qu’ils n’hébergeraient pas de groupes terroristes attaquant d’autres pays, comme la Chine et le Pakistan, mais on sait que des membres du TTP se sont réfugiés en Afghanistan, lançant des attaques au Pakistan. À mesure que les investissements chinois au Pakistan ont augmenté, le PCC a poussé le gouvernement pakistanais à s’engager auprès des groupes terroristes. Dans le même temps, le PCC souhaite augmenter la stabilité en Afghanistan, car il estime que l’instabilité dans ce pays augmente le risque d’attaques contre les projets chinois.

La région chinoise du Xinjiang partage une frontière avec l’Afghanistan. Pékin craint le soutien des talibans aux séparatistes du Xinjiang. Les responsables chinois de la sécurité ont déjà accusé les talibans d’aider les militants ouïghours, notamment le Mouvement islamique du Turkestan oriental (ETIM), qui a perpétré plusieurs attentats terroristes au début des années 2000. Estimant que le cofondateur des talibans, le mollah Abdul Ghani Baradar, pourrait devenir le prochain président de l’Afghanistan, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, lui a dit qu’il devait couper les liens avec l’ETIM.

Concernant le sort de l’Afghanistan, Wang a déclaré qu’il espérait un « atterrissage en douceur ». En fin de compte, la principale préoccupation du PCC en géopolitique est de maintenir la stabilité du régime et la sécurité à l’intérieur du pays, tout en sécurisant ses investissements à l’étranger. Les objectifs de Pékin pourraient être atteints au mieux par une transition pacifique du gouvernement afghan et un retour rapide à une situation relativement stable dans le pays. Par conséquent, la Chine n’a jamais été aussi préoccupée que les États-Unis et d’autres acteurs internationaux par le fait que le pays soit dirigé par les talibans ou par une forme de gouvernement démocratiquement élu. C’est pour cette raison que Pékin s’est engagé à plusieurs reprises avec les talibans, sur le plan diplomatique. Le mois dernier, une délégation talibane de haut niveau a été accueillie en Chine. À l’heure actuelle, la Chine cherche à s’assurer que les talibans ne soutiendront pas les activités terroristes au Xinjiang et ne menaceront pas les intérêts économiques de la Chine en Afghanistan et au Pakistan.

Depuis au moins une décennie, la Chine envisage des projets économiques en Afghanistan, en grande partie liés au cuivre et au pétrole. En 2020, les entreprises chinoises avaient remporté des contrats pour un montant de 110 millions de dollars, mais l’instabilité du pays a empêché ces projets de se concrétiser. Même si le régime chinois devrait coopérer avec un gouvernement dirigé par les talibans et pourrait mener à bien ces projets et d’autres, il est peu probable qu’il réalise des investissements supplémentaires significatifs.

L’Afghanistan est un pays enclavé de taille moyenne qui compte environ 38 millions d’habitants, dont 47 % vivent sous le seuil de pauvreté. Même avec les talibans au pouvoir, les combats de résistance pourraient se poursuivre, maintenant une instabilité suffisante pour que le pays reste peu attractif pour les investisseurs chinois. Indépendamment des investissements directs, l’Afghanistan reste crucial pour le maintien de la sécurité et de la sûreté au Xinjiang, ainsi que pour le maintien des investissements chinois au Pakistan.

Le Pakistan et le Tadjikistan ont tous deux une frontière commune avec la Chine et sont tous deux membres de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), où l’Afghanistan a le statut d’observateur. Cela signifie que ces pays sont déjà prêts à travailler ensemble. La Chine va très probablement renforcer sa coopération en matière de sécurité avec le Tadjikistan, de peur que les talibans n’attaquent ce pays et ne menacent ses projets « la Ceinture et la Route » ou ne provoquent une instabilité en Asie centrale et au Xinjiang.

Afin d’éviter la violence et pour maintenir la stabilité régionale, le Pakistan et la Chine devront travailler ensemble sur la question de l’Afghanistan. Cela servira naturellement à renforcer les relations entre les deux pays, en évinçant éventuellement l’Inde et les États-Unis. Cela encouragera également la poursuite des investissements chinois au Pakistan tout en incitant le Pakistan à soutenir les initiatives chinoises en Afghanistan.

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